Il lui avait donné rendez-vous en face de l'église, à côté de l'office du tourisme.
Elle était un petit peu en avance. Une voiture est arrivée, s'est arrêtée.
En est sorti un petit homme trapu, les cheveux blancs, qui l'a abordée par son prénom, s'est présenté, l'a tutoyée d'emblée.
Elle est montée dans la voiture. Quelle marque ? Elle ne sait plus. Un style kangoo mais version utilitaire. Une vieille voiture dont les effluves témoignaient de son ancien métier de pêcheur, mais cela ne l'a pas dérangée. Instinctivement elle a voulu mettre sa ceinture de sécurité et il lui a dit : "Ne mets pas ta ceinture". Là-bas personne n'attache sa ceinture de sécurité.
Ils ont commencé une conversation fluide bien qu'ils se rencontraient pour la première fois.
Arrivée chez lui, elle a reconnu la barrière avec les bouées qu'elle avait photographiée furtivement il y a quatre ans. Elle lui a dit qu'elle avait fait cette photo. Il a souri.
Chez lui, sa femme (qu'elle avait rencontrée le matin au cimetière) l'a accueillie avec son grand regard bleu lumineux.
"Assieds toi" - "Tu veux un café ? " - "Je ne bois pas de café" - "Un thé" - "Oui, un thé"
Pendant trois heures ils ont parlé, tous les trois. Pendant trois heures. Ils se rencontraient pour la première fois.
Elle leur a montré les photos de ses enfants, de sa mère. Elle a vu une photo de leurs deux filles.
Elle et lui ont parlé de leur mère respective. Ils ont parlé de ce qu'ils savaient, ont partagé.
Lui en savait très peu. "Elle était secrète ma mère".
Il a commencé a ranger la maison de sa mère. Il a trouvé un écrit de sa mère. Il lui a fait lire. Elle lui a fait lire le dernier courrier qu'elle avait reçu en janvier de sa mère à lui.
Il lui a raconté la maladie de sa mère, les hospitalisations, l'évacuation en hélicoptère, la difficulté de s'occuper seul de cette mère têtue, le décès.
Elle lui a parlé de la lente descente dans l'oubli de sa mère à elle.
Elle a raconté ce qu'elle savait de leur grand-mère, morte si jeune. Elle en savait plus que lui.
Il lui a raconté sa vie sur l'île. Elle était curieuse de savoir, posait des questions.
Elle a parlé un peu de sa vie à elle, très peu.
Pendant trois heures ils ont parlé.
Il lui a dit : "Maintenant j'ai une cousine".
C'était fort cette phrase.
Sobre mais fort.
Elle lui a dit : "Il y a aussi mon frère, ma soeur".
Et lui : "Oui, mais c'est toi que je connais" .
Oui c'est elle qui a voulu le rencontrer lui, c'est elle qui a écrit, c'est elle qui a tant espéré.
Avant de repartir, il a tenu à lui montrer sa serre avec les légumes qui y poussent, et son garage où il "s'occupe". Pour partager un peu plus de son quotidien.
Quand il l'a raccompagnée dans le bourg, il a fait un détour pour lui montrer la maison des arrières grands-parents maternels "vendue pour une poignée de moules à des parisiens", pas par lui, pas leurs grands-oncles ou cousins, certainement.
Elle l'a prise en photo. Elle la montrera à son frère, sa soeur, sa mère.
Sa mère à lui disait à sa mère à elle : "On n'a pas le même père, mais on a la même mère, ça compte".
Elle a envie de lui dire : "On n'a pas le même grand-père, mais on a la même grand-mère, ça compte".
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C'était jeudi dernier. Je suis revenue de cet après-midi le coeur rempli d'une vraie joie très douce, très profonde.
Je ne vais pas attendre quatre ans pour retourner sur l'île. Maintenant j'y ai un cousin d'une grande gentillesse, avec une femme tout aussi gentille, au coeur immense comme l'océan qui les entoure.
Ton histoire, dont j'ai cru d'abord qu'elle était un texte d'invention,pour un atelier d'écriture, m'a beaucoup émue parce qu'elle est vraie, et belle, et que l'on sent ton émotion d'avoir rencontré ce petit bout lointain de ta famille.
RépondreSupprimermerci Suzame
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Célestine. Je porte celà comme un immense éclat de soleil dans mon coeur depuis jeudi dernier.
SupprimerTu avais déjà écrit sur le sujet, j'en ai retrouvé le fil... c'est beau .... j'aime cette histoire qui me touche parce que pour moi les liens familiaux sont sensibles, certains n'y mettent aucun affect, et d'autres sans doute beaucoup trop. Merci d'avoir raconté.
RépondreSupprimerMel. Oui j'ai raconté, comme si c'était une "écriture d'invention" comme l'a écrit Célestine.
SupprimerEt puis j'ai précisé après que je parlais de moi car j'avais envie de partager cette joie avec mes lecteurs d'ici.
PS : Merci d'avoir retrouvé le fil :-)
Moi aussi, j'ai pensé au départ qu'il s'agissait d'un texte écrit pour l'atelier d'écriture, et puis au fil des mots, j'ai compris. Merci pour cette merveilleuse histoire si touchante, Suzame. Je comprends ta joie douce et profonde.
RépondreSupprimerBonne soirée. Je t'embrasse.